narcisse et goldmund · hermann hesse

Et pourtant la vie était belle! Il cueillit dans l’herbe une petite fleur violette, l’approcha de son œil pour regarder dans le calice étroit; il y avait là des veines et de minuscules organes fins comme des cheveux, comme au plus intime de la femme et comme au plus profond du cerveau d’un penseur où vibraient la vie et le plaisir. Oh! pourquoi ne savait-on rien, absolument rien? Pourquoi ne pouvait-on parler avec cette fleur? Mais deux hommes ne pouvaient même pas échanger vraiment leurs pensées, à moins d’un hasard heureux, d’une amitié ou d’une réceptivité exceptionnelles. Non, c’était une chance que l’amour n’eût pas besoin de paroles; sans quoi il se serait empli de malentendus et de folies. Ah! la façon dont les yeux de Lise à demi fermés avaient comme chaviré sous l’excès des délices, ne laissant plus voir qu’un trait blanc dans la fente des paupières convulsées, ça ne pouvait s’exprimer en dix mille formules de savants ou de poètes! Rien, ah! absolument rien ne pouvait s’exprimer à fond, se penser à fond, et pourtant on avait toujours en soi à nouveau le besoin ardent de parler, l’éternelle tendance à penser!

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