Tag Archives: light

son cœur consumé d’amour

Le 7 février dernier à Besançon nous avons donné avec le Cortège d’Orphée, le pianiste Guillaume Coppola et le récitant Baptiste Chabauty, le Via Crucis de Franz Liszt mis en regard avec les poèmes du Chemin de la Croix de Paul Claudel – avec en première partie le Miserere d’Allegri en contrepoint musical d’extraits du Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc de Charles Péguy.

De grandes émotions, musique et poésie mêlées et indissociables.

Il avait semé tant d’amour.
Il récoltait tant de haine.
Son cœur lui brûlait.
Son cœur dévoré d’amour.
Et à sa mère il avait apporté ceci.
De voir ainsi traiter
Le fruit de ses entrailles.
Et c’étaient les mêmes qui le jour des rameaux.
Quelques jours avant.
Quelques mois, quelques semaines.
Le dimanche des Rameaux.
Lui avaient fait cette entrée triomphale.
Une entrée triomphale à Jérusalem.
Son cœur lui brûlait.
Son cœur lui dévorait.
Son cœur brûlé d’amour.
Son cœur dévoré d’amour.
Son cœur consumé d’amour.
Et jamais homme avait-il soulevé tant de haine.
Jamais homme avait-il soulevé une telle haine.
C’était une gageure.
C’était comme un défi.
Comme il avait semé il n’avait pas récolté.

Quelques photos de notre mise en espace (Photos Yannick Millon)

 

Si vous êtes dans la région de Besançon, vous pouvez aller voir les photos de Gabriel Vieille du Chemin de croix de Gabriel Saury (au Centre diocésain jusqu’au 28 février) – ou mieux encore, aller voir les sculptures à Orchamps Vennes. Sur internet, les photos sont sur le site de Gabriel Vieille.

an · les délices de tokyo

La lune m’a murmuré: je voulais que tu me regardes, c’est pour ça que je brille.

an-les-delices-de-tokyo--162450_1

etty hillesum

(La dernière phrase de son journal.)

On voudrait être un baume versé sur tant de plaies.

the most extraordinary scenes

La trève de Noël 1914 à travers la lettre d’un officier britannique à sa famille – @ Letters of note

La fraternité est plus naturelle que la guerre.

et lux perpetua luceat eis

Dimanche prochain à Arbois dans le Jura, mezzo-soprano solo dans le Requiem de Michael Haydn! Je me réjouis 🙂

affiche requiem Arbois

mon arc-en-ciel d’amour

Une semaine à Vézelay avec le Cortège d’Orphée, en résidence à la Cité de la voix.

Quelle semaine! Comme souvent les mots me manquent, et pourtant ce sont les mots qui peuvent être partagés ici!

Vézelay Madel N nave DSCN1580

Moi qui suis si touchée par Marie, ici tout me parle de Jésus.

Il est vrai que nous chantons l’Agneau mystique.

A la basilique, chaque jour, avec The Lamb de Tavener, l’Agnus Dei de la messe en Sol de Poulenc, et la Louange à l’éternité de Jésus.


Vézelay Narthex Portail Sud 220608 5

Ange…


Mais aussi au détour d’un Octonaire de la vanité du monde de Paschal de l’Estocart à la Cité de la voix. A chaque fois que notre quatuor chante “A un qui par sa mort chassa la mort du monde” (Et le monde et la mort), quelque chose m’étreint.

Tout me parle de lumière aussi, et résonne avec le chemin de ces derniers mois…

Christopher Kelly de la Maison du visiteur nous parle avec l’intelligence du cœur des jeux de lumière de la basilique. Le soleil illumine ses magnifiques chapiteaux. Promesse de retour pour le solstice d’hiver.

Vézelay Nef Chapiteau 230608 03

Les voix des magnifiques chanteurs avec qui j’ai le bonheur de chanter illuminent mon cœur. Hannah, Mélanie, Axelle, Léo, Anthony, Boris, Pierre, merci.

La beauté des textes et de la musique. Il n’y a pas à choisir.

La profonde humanité de chacun.

Respirer et vibrer ensemble – en cœur.

Rire aussi, beaucoup, souvent.

Les retours après les concerts. Chaque jour quelqu’un est touché par la Louange et vient nous le dire. Cette dame qui revient jour après jour nous écouter. Ce monsieur qui me dit que nous semblons n’être qu’un seul corps. Ces paroles qui nous touchent et nous portent.

Chacun de nous reste profondément soi et nous sommes profondément ensemble.

Nef de la basilique de Vézelay à 14h27 le 23 juin 1976

Mon toujours de la lumière…

J’accueille la lumière, sur notre terre de lumière.

Merci.

antigone · henry bauchau

Le lendemain, mendiante définitive au cœur de Thèbes, je vais plus tôt à l’agora. Je me prosterne d’abord au pied de ce qui doit devenir ma colonne et j’embrasse la pierre en me disant : Je ne suis plus dans les villages où je mendiais pour mon père. Je suis dans la cité des frères ennemis, dont Etéocle a fait une ville immense, un pays de riches que Polynice veut prendre et posséder de force. Ce n’est plus l’ancien cri que je dois pousser ici, il est trop faible pour la ville inexorable où personne n’écoute.

Jamais je n’ai mendié dans une grande ville, je ne sais pas ce qu’il faut faire. Qu’importe ! La première fois qu’il a chanté, Œdipe ignorait aussi quelle voix allait sortir de son ventre et de son âme. Je fais silence en moi, je me concentre sur cette image du premier chant d’Œdipe, le soir du solstice d’été quand Diotime s’est penchée vers moi pour me dire : Notre aède nous a trouvées.

Je mets mon panier de mendiante devant moi et j’attends en murmurant des prières, derrière les colonnes, sur les toits je vois les gamins d’hier et beaucoup d’autres qui me regardent comme si quelque chose devait se produire. Je les oublie, je ne les vois plus ni ceux qui passent et qui me jettent peut-être quelques sous.Toute mon attention est requise par ce qui se passe en moi et qui vient de bien plus profond. Il y a une colère, une étrange et brusque fureur qui grandit en traversant mon corps et va produire un cri. Le cri d’un enfant malingre, enfermé, abandonné dans une cave et qui entrevoit, à travers les millénaires ténébreux, l’espérance, l’existence de la clarté. C’est le cri vers la lumière de ceux qui sont nés pour elle et qui en ont été indéfiniment exilés. Le cri progresse sauvagement en moi, il me déchire, il me brise sur un sol sans devenir et me force à verser les larmes les plus dures. Le cri, le crime, plane au-dessus de la ville et il n’est plus question de le retenir mais seulement de l’expulser en douleur et en vérité pendant tout le temps qu’il exigera pour naître.

Je suis perdue, plus perdue que jamais dans l’obscurité de mon existence mais je sens que je ne suis plus seule. Des gens, beaucoup de gens sont accourus à mon appel, certains pleurent avec moi, d’autres m’apportent ce qu’ils croyaient à eux et ne peuvent plus garder.

Je voudrais les remercier, leur dire : Assez, c’est assez ! Je ne peux plus retenir un autre cri, le second qui ressemble à celui d’une femme en amour ou d’une ville forcée. J’entends des gens, encore des gens qui accourent. Ils jettent des pièces dans mon panier qui déborde de dons. On pose des pains, des galettes tout autour de moi. Je reconnais la voix tremblante de la boulangère qui dit : “Arrête, Antigone, ou je te donnerai tout. Tout ce que je devrais vendre. Mon mari ne t’entend pas, certains, c’est incroyable, ne t’entendent pas. Si je te donne plus, il me battra à mort.”

J’ai pitié d’elle, je me prosterne, le front contre le sol, pour ne plus appeler, ne plus hurler comme un enfant perdu. Le cri veut s’élever encore, je tente de le contenir dans mon ventre qui se crispe, de le barricader dans ma gorge qui s’étrangle, malgré tout il jaillit : Non ! Non, il n’y a pas assez de malheurs, de hontes, de crimes, pas assez d’absurdes désastres, de vies détruites, d’espérances piétinées. Pas assez de sang, d’enfants tués, de destructions et de folies sur la terre. Il faut que la chose grandisse encore, montre enfin au grand jour se tête hideuse et molle et répande sa puanteur. Il ne suffit pas que la chose soit vue, il faut qu’elle soit parlée, plus haut, beaucoup plus haut. Qu’elle soit criée, que son terrible langage soit entendu, qu’il déborde ici et maintenant, puisque le lieu où il devrait être proféré, puisque ce lieu n’existe pas.

Le cri me déchire et me force à me relever tandis qu’il se termine en sanglots saccadés. Je parviens à ouvrir les yeux, il y a autour de moi une foule qui me regarde et qui pleure en silence. Oui, de cette ville belliqueuse, avare et dure, tous ces gens sont venus pour pleurer avec moi, pleurer sur le malheur qui est, sur celui qui s’annonce et dont le cri leur a fait entrevoir l’imprévisible étendue. Il devait porter aussi quelque obscure espérance puisqu’ils ont apporté tout cet argent et cette prodigieuse quantité de dons qui m’entourent.

Fendant la foule un homme s’avance vers moi. Je pense : c’est l’homme d’ombre de mon rêve. Il arrête d’un geste la fin de mon cri. Il dit : “Assez !” Il dit : “C’est trop… Ici, c’est la vie. Ce n’est pas le lieu pour cela.

– Où est le lieu ?”

On voit sur son visage qu’il a pleuré, lui aussi, il me parle et me regarde très sobrement comme quelqu’un pour qui – comme pour Œdipe – échec et victoire, bien et mal, tout est devenu la même chose.

Je voudrais lui parler du lieu, s’il existe, mais déjà il a disparu.

the electric rise and fall of nikola tesla · marco tempest