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janet baker

La mort de Didon:

Les nuits d’été (avec un peu de commentaire en allemand après la Villanelle, mais il suffit de passer):

C’est magnifique non?

(Flashback au tout début de ce blog!)

antigone · henry bauchau

Le lendemain, mendiante définitive au cœur de Thèbes, je vais plus tôt à l’agora. Je me prosterne d’abord au pied de ce qui doit devenir ma colonne et j’embrasse la pierre en me disant : Je ne suis plus dans les villages où je mendiais pour mon père. Je suis dans la cité des frères ennemis, dont Etéocle a fait une ville immense, un pays de riches que Polynice veut prendre et posséder de force. Ce n’est plus l’ancien cri que je dois pousser ici, il est trop faible pour la ville inexorable où personne n’écoute.

Jamais je n’ai mendié dans une grande ville, je ne sais pas ce qu’il faut faire. Qu’importe ! La première fois qu’il a chanté, Œdipe ignorait aussi quelle voix allait sortir de son ventre et de son âme. Je fais silence en moi, je me concentre sur cette image du premier chant d’Œdipe, le soir du solstice d’été quand Diotime s’est penchée vers moi pour me dire : Notre aède nous a trouvées.

Je mets mon panier de mendiante devant moi et j’attends en murmurant des prières, derrière les colonnes, sur les toits je vois les gamins d’hier et beaucoup d’autres qui me regardent comme si quelque chose devait se produire. Je les oublie, je ne les vois plus ni ceux qui passent et qui me jettent peut-être quelques sous.Toute mon attention est requise par ce qui se passe en moi et qui vient de bien plus profond. Il y a une colère, une étrange et brusque fureur qui grandit en traversant mon corps et va produire un cri. Le cri d’un enfant malingre, enfermé, abandonné dans une cave et qui entrevoit, à travers les millénaires ténébreux, l’espérance, l’existence de la clarté. C’est le cri vers la lumière de ceux qui sont nés pour elle et qui en ont été indéfiniment exilés. Le cri progresse sauvagement en moi, il me déchire, il me brise sur un sol sans devenir et me force à verser les larmes les plus dures. Le cri, le crime, plane au-dessus de la ville et il n’est plus question de le retenir mais seulement de l’expulser en douleur et en vérité pendant tout le temps qu’il exigera pour naître.

Je suis perdue, plus perdue que jamais dans l’obscurité de mon existence mais je sens que je ne suis plus seule. Des gens, beaucoup de gens sont accourus à mon appel, certains pleurent avec moi, d’autres m’apportent ce qu’ils croyaient à eux et ne peuvent plus garder.

Je voudrais les remercier, leur dire : Assez, c’est assez ! Je ne peux plus retenir un autre cri, le second qui ressemble à celui d’une femme en amour ou d’une ville forcée. J’entends des gens, encore des gens qui accourent. Ils jettent des pièces dans mon panier qui déborde de dons. On pose des pains, des galettes tout autour de moi. Je reconnais la voix tremblante de la boulangère qui dit : “Arrête, Antigone, ou je te donnerai tout. Tout ce que je devrais vendre. Mon mari ne t’entend pas, certains, c’est incroyable, ne t’entendent pas. Si je te donne plus, il me battra à mort.”

J’ai pitié d’elle, je me prosterne, le front contre le sol, pour ne plus appeler, ne plus hurler comme un enfant perdu. Le cri veut s’élever encore, je tente de le contenir dans mon ventre qui se crispe, de le barricader dans ma gorge qui s’étrangle, malgré tout il jaillit : Non ! Non, il n’y a pas assez de malheurs, de hontes, de crimes, pas assez d’absurdes désastres, de vies détruites, d’espérances piétinées. Pas assez de sang, d’enfants tués, de destructions et de folies sur la terre. Il faut que la chose grandisse encore, montre enfin au grand jour se tête hideuse et molle et répande sa puanteur. Il ne suffit pas que la chose soit vue, il faut qu’elle soit parlée, plus haut, beaucoup plus haut. Qu’elle soit criée, que son terrible langage soit entendu, qu’il déborde ici et maintenant, puisque le lieu où il devrait être proféré, puisque ce lieu n’existe pas.

Le cri me déchire et me force à me relever tandis qu’il se termine en sanglots saccadés. Je parviens à ouvrir les yeux, il y a autour de moi une foule qui me regarde et qui pleure en silence. Oui, de cette ville belliqueuse, avare et dure, tous ces gens sont venus pour pleurer avec moi, pleurer sur le malheur qui est, sur celui qui s’annonce et dont le cri leur a fait entrevoir l’imprévisible étendue. Il devait porter aussi quelque obscure espérance puisqu’ils ont apporté tout cet argent et cette prodigieuse quantité de dons qui m’entourent.

Fendant la foule un homme s’avance vers moi. Je pense : c’est l’homme d’ombre de mon rêve. Il arrête d’un geste la fin de mon cri. Il dit : “Assez !” Il dit : “C’est trop… Ici, c’est la vie. Ce n’est pas le lieu pour cela.

– Où est le lieu ?”

On voit sur son visage qu’il a pleuré, lui aussi, il me parle et me regarde très sobrement comme quelqu’un pour qui – comme pour Œdipe – échec et victoire, bien et mal, tout est devenu la même chose.

Je voudrais lui parler du lieu, s’il existe, mais déjà il a disparu.

les clowns lyriques · romain gary (2)

Il partait demain, il n’y avait plus de demain.
Elle se sentait effrayée, moins parce qu’il partait, mais parce qu’elle n’était pas sûre. Il fallait encore patienter, mais déjà, elle essayait de pressentir: elle guettait son corps, ses seins, son ventre, bien que ce fût absurde, c’était beaucoup trop tôt, on ne pouvait pas savoir. Mais elle avait bon espoir. Elle sourit et posa la main sur la joue de Rainier et la caressa, mais cette caresse ne lui était pas destinée, ni ce sourire. Son visage prit un air un peu coupable, un mélange de triomphe et d’innocence et Rainier lui prit le mention, la regarda dans les yeux:
– Qu’est-ce qu’il y a? Qu’est-ce que tu es allée voler à la cuisine?
Elle secoua la tête sans rien dire, cacha son espoir sous ses paupières, commença à boutonner sa blouse avec une attention extraordinaire. Elle ne cherchait plus à le convaincre, à le libérer de leur emprise; il n’y avait qu’une façon de le changer, et c’était d’élever son enfant. C’est tout ce que nous pouvons faire pour essayer de vous changer enfin, pensa-t-elle. C’est ainsi que nous réussirons peut-être à murmurer doucement, clandestinement, le monde futur, dans l’oreille de nos enfants. Rien ne nous sépare, nous autres, femmes, et cette oeuvre qui leur échappe, c’est nous qui l’accomplissons. Nous ne sommes pas assez aimées pour vous retenir, mais vous laissez toujours dans nos mains l’avenir qui vous échappe. Et nous continuerons patiemment, maternellement, notre labeur imperceptible, jusqu’à ce que le monde soit fait de cette tendresse qui s’insinue.

les clowns lyriques · romain gary (1)

Elle devait se demander souvent, plus tard, d’où lui étaient venus le courage et la certitude qu’il fallait pour se conduire avec cette tranquille assurance, comment elle avait pu savoir aussitôt, sans une seconde d’hésitation, que l’homme qui la suppliait ainsi du regard n’était pas un habitué. Mais la réponse à cette question était naturellement aussi simple que difficile à admettre, pour une femme: cela n’aurait rien changé. Fût-il le plus banal des aventuriers, elle n’avait pas le choix. Sans doute n’y a-t-il jamais de choix. On peut regretter toute sa vie, mais on ne se trompe jamais en amour. La seule chose que l’on peut dire, devait-elle penser au cours des années, avec une amertume infinie, c’est que j’ai eu de la chance.
Ils se tenaient immobiles, bousculés par la foule, lisant chacun dans les yeux de l’autre un appel de détresse qui fut leur première confidence échangée, et puis elle lui sourit.
Personne ne leur prêtait attention, et les faux nez, les fausses barbes, les masques et les chapeaux pointus s’engouffraient dans le café en dansant et en hurlant, mais ils n’entendaient plus que le silence, leur silence à deux, plein d’un sourd battement intérieur tellement plus fort que la clameur du carnaval, et le fracas dont ils étaient entourés, les masques grimaçants et la bousculade accentuaient encore leur sentiment d’intimité et d’isolement et cette naissante certitude d’avoir gagné enfin une terre autre, vraie, d’être debout sur cette autre et enfin humaine planète que l’on peut seulement être deux à habiter.

it’s all over now, baby blue · joan baez

Your lover who has just walked out your door
Has taken all his blankets from the floor
The carpet, too, is moving under you
And it’s all over now, Baby Blue

i miss my biggest heart

beautiful Emily Dickinson letter published on Letters of Note

If you were here — and Oh that you were, my Susie, we need not talk at all, our eyes would whisper for us, and your hand fast in mine, we would not ask for language — I try to bring you nearer, I chase the weeks away till they are quite departed, and fancy you have come, and I am on my way through the green lane to meet you, and my heart goes scampering so, that I have much ado to bring it back again, and learn it to be patient, till that dear Susie comes. Three weeks — they cant last always, for surely they must go with their little brothers and sisters to their long home in the west!

jaime sabines

Grâce à Xosué Martinez, le photographe qui a pris les magnifiques photos de Viaje que vous pouvez voir sur le site, je découvre la poésie mexicaine, et elle me parle très très fort…

“Yo soy sólo una parte, sólo un brazo,
Una mitad apenas, sólo un brazo.
Te recuerdo en mi boca y en mis manos.
Con mi lengua y mis ojos y mis manos.”